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mercredi 8 mars 2023

Le rire et les larmes.

Son sourire est ravissant. Son rire irrésistible. Depuis quelque mois sa mémoire s’efface. Parfois, nous en rions. Parfois elle en pleure. Je fais vite une ânerie pour que le rire efface les larmes. Ça fait comme si elle riait aux larmes. Je suis devenu indispensable dans le paysage. Si je tarde je reçois un message. Dès que j’ai tourné le coin de la rue, je reçois un message. Et quand je reviens elle m’étreint. C’est agréable d’être attendu. C’est un peu effrayant et c’est doux. Ce n’est pas facile. Ce matin elle avait les yeux pleins de sommeil. J’ai attendu qu’ils soient pleins de soleil, alors j’ai dit « je me suis levé de bonheur », pour faire le malin. Elle a dit « à quelle heure ? », j’ai dit à cinq heures. Les fins de nuits, dès que mes yeux s’ouvrent, je ne peux pas me rendormir, alors je me mets à penser aux larmes du jour à venir. Avenir. Je parle que de demain. Demain ça ne sollicite pas la mémoire. Le passé n’est fait que de mémoire. Peu à peu, j’ai appris à écouter son passé altéré. J’ai appris à souffler les mots qui manquent, les noms évanouis, les souvenirs inventés puisque les vrais font défaut, les comptes rendus déformés. Seule demeure vive la mémoire du corps, la nuit justement. Tant qu’il y a la vie.

lundi 31 octobre 2022

32 OCTOBRE

LE 32 OCTOBRE

Ce n’est pas très original. Celles et ceux qui savent, savent.
Les autres imaginent. J’ai fait longtemps partie des autres. J’ai cru savoir. J’étais loin de la réalité.

Il y a le temps du fracas, il passe vite, aussi vite que sa déflagration, car la raison à besoin de trouver des raisons à la violence, connaître les circonstances.
Ce qui vient ensuite est déchirant, même quand on a pu parler, on n’a jamais tout dit, on avait gardé en réserve, volontairement ou pas, pour demain. Demain ne sera pas.
A la main tendue vers l’autre, absent de façon définitive, on ne trouve que du vide. Ça lève le cœur, ça met en rage, ça désespère, ça révèle combien on pouvait être imparfait, trop peu attentif. Toute cette injustice.
Quand on n’a pas pu parler, ou qu’il n’a jamais été possible de parler, d’être entendu, ou quand le prochain rendez-vous était pour la semaine d’après, l’air manque, les larmes coulent, les mots étranglent la gorge, on reste comme un con face à soi, à trouver seul les réponses aux questions non posées, à ce qu’on aurait pu dire, à ce qu’on aurait pu se nourrir, de plus, de l’autre.

Cette année j’ai éprouvé toutes les nuances, dans toutes leurs couleurs, tous les degrés des peines sans parler de celles, latentes, déroutantes et quotidiennes.
Jacques, Louis, Maman, Christian, vous me manquez tant. Vous me manquez pour des raisons différentes, mais qui se rejoignent, vous manquez au monde, et la peine des autres se superpose à la mienne.
Depuis tout ça, je fais ce que peux pour paraître à l’identique de ce que j’étais, peut-être suis je toujours le même, on ne change jamais, non? Quand je sors, je me couvre d’un masque de joie, pour tromper mon monde, pour ne pas troubler l’insouciance, pour ne pas gâcher la fête, parce que j’ai ancré profond le sentiment que la vie est une fête.
J’espère qu’à force le masque se confondra, et qu’un jour ou l’autre reviendra la joie.
Amen

lundi 28 juin 2021

Filature

Devant la porte, je me suis effacé pour la laisser passer. Elle m’a lancé un regard. Joli visage, ouvert, souriant, elle a vingt cinq ans peut être. A ses yeux, je suis vieux donc transparent. Trente secondes après, elle ne pourrait pas me décrire.
Elle marche dix mètres devant moi. On peut être ému par un corps. Je la regarde. Elle est joliment ronde, un peu comme Marilyn, mais cheveux châtains clair, et ce ne sont pas ses cheveux que je regarde en premier.
A ce moment, je pense bon de préciser que j’ai parfaitement conscience qu’un être humain ne se limite pas à un corps, mais pour ce que je sais d’elle, à cet instant, elle est un corps.
D’ailleurs, elle fait tout pour qu’il ne passe pas inaperçu, son corps. Elle avance, bientôt nous rencontrons du monde sur notre chemin. Pas la foule, non, mais assez pour qu’elle apparaisse et disparaisse au gré de ce qui se présente face à nous.
Je me suis dérouté, je n’avais rien d’urgent à faire, aspiré par l’ondulation, le mouvement de ses fesses. C’est hypnotique, parfois elle s’arrête, regarde une vitrine, je m’applique à n’être pas dans le reflet, puis elle repart, sans hâte, sans nonchalance. Quelqu’un me bouscule, j’atterri, elle a disparu.
Je reprends ma marche, ah, je la retrouve. Elle traverse l’avenue d’un pas vif, j’accroche son profil. Elle est vraiment superbe. Je croise aussi mon reflet dans la vitre d’un bus.
Qu’est ce que je fais là?

mardi 29 décembre 2020

PARTIE GRATUITE (Enfin presque)

Aujourd’hui je pense particulièrement à celles et ceux qui ont perdu un proche cette année, à celles et ceux qui nous ont quittés, collectivement, et qui nous avaient accompagnés, charmés par leur talent, et aussi à celles et ceux qui ont vu naître leur enfant.

Certains parmi vous l‘ont su. Je suis désormais dans le cours de la première année de ma seconde vie.
Elle a débuté le deux juin deux mille vingt, vers treize heures trente, et a commencé par la pose d’un « stent ».
La première s’est achevée par un infarctus, juste avant.
Je me suis vu partir, perdu contrôle, incapable de m’accrocher. Au plus fort de la crise, défiguré par la douleur, j’ai accepté ce qui arrivait, j’ai laissé filer.
Je pensais avoir fait tilt mais, c’est une partie gratuite qui à claqué, un bruit sec et métallique faisant le silence, pour une seconde, dans le bistrot bruyant de la vie.
Cet évènement n’a pas eu d’effet secondaire grave, grâce à ma femme qui a tout de suite compris et alerté les secours. Ils sont venus très vite. Je lui dois la vie. Je leur dois la vie.
A la sortie de l’hôpital, il m’a été recommandé de me tenir à l’écart du monde, la pandémie qui ravage risquant d’avoir sur moi des effets dévastateurs.

Ce n'est pas la même vie qui reprend et continue.
Comme c'est ma première année j’ai retrouvé l’innocence, l’émerveillement et la confiance, comme lors du commencement de ma vie d'avant. Quiconque ayant fréquenté un tout-petit sait de quoi je parle.
Innocence, émerveillement, et confiance.
Depuis, je me suis tenu autant que possible à l’écart des bruits et complots divers, ne cherchant à être informé que de l’utile. J’ai donc entendu tout ce qu’il y avait à savoir, comme je ne connais rien à ces choses j’ai écouté tel un enfant sage, avec confiance.
L’émerveillement, pour ce qu'il offre au regard, la splendeur d’un matin même gris, d’une feuille qui frissonne sous le vent, d’une goutte de pluie qui tombe sur une flaque d’eau, que des choses banales, magiques, je me suis mis à l’affut de tout ce qui vit, que cela soit grandiose ou minuscule, et tenter d’en faire une moisson quotidienne.
J’ai mis la confiance dans le temps qui passe. Le temps guérit de tout, le temps résous tout. La confiance c’est de l’ordre de l’intime, on nait, ou renait avec ou pas.
J’ai vu la laideur, où elle se tient. La bêtise aussi hélas. L’horreur du coin de la rue. Ces choses qui nous salissent, à trop les voir, alors qu’on se remet à neuf.
J’ai appris la patience dans la vie d'avant. Ça vient à force d’attendre, tout et n’importe quoi et pendant longtemps, du Père Noël à un visage aimé. Oui, savoir attendre, calmement.
Ce dont je me souviens aussi de cette vie là, c’est qu’il y avait du monde et du beau. Des amis, des collègues, qu’on étreignait sans retenue, dès qu’on se retrouvait, alors qu’on s’était quitté la veille. Oui, c’était doux et tendre. Ce sera à retrouver demain avec un peu de chance, reprendre le « faire » ensemble. En attendant le vaccin et la fin de tout cela. Patience.
La confiance offre l’espoir.
L’émerveillement entretient l’espoir.
L’innocence n’est qu’espoir.

Ce sera mon souhait pour 2021, je vous souhaite d'avoir en vous et de porter haut, l’espoir.

vendredi 8 mai 2020

Dirty Covid Nineteen Blues

Il est question de la négation de mon âge, par légèreté, ou par pudeur. Cela se faisait tout seul, de fait, comme par réflexe comme si, l’âge à mes yeux était, tout compte fait, un détail, une intimité. Ça marchait plutôt bien. L’autre me voyait tel que j’étais, mais n’en disait rien de déplaisant, un bon deal.
Mené par la volonté, également, de rester debout. Offrant l’expérience induite qui, si elle s’accompagne d’humilité, peut être utile à l’autre. Servir au mieux. Que l’on soit en haut de la pyramide, ou bien en bas, on sert, c’est tout ce qui compte, et si on reste attentif, on apprend chaque jour.
Donc, je faisais comme si. Je ne prétends pas que c’était facile tout le temps. On ne peut s’empêcher de regarder la jeunesse avec envie, car c’est joli, et d’en aimer l’ardeur et la fluidité et l’inconfort, parfois.
Je dis simplement que l’âge ne m’était jamais un argument pour ne pas agir. Ou bien, je pouvais faire ce qu’on attendait de moi, ou je ne pouvais pas. Je ne jouais pas à faire semblant d’être, pour éviter de décevoir, et préserver la confiance qu’on me faisait. Sur le fond, rien n’a changé.

Mais.

La pandémie actuelle me désigne et m’arrache à l’illusion. Elle m’extrait du monde à long terme. Elle me rappelle mon état avec condescendance, insistance et grossièreté et c’est douloureux. Elle m’affirme aussi que je suis en danger. Je n’ai aucune raison de ne pas la croire. Elle me réduit à l’immobilité, l’inutilité, à la condition d’objet, condition contre laquelle je me suis révolté toute ma vie.
Même si l’esprit est sauf, et le monde intérieur dense, intense, ça ne résous pas. C’est fragile tout ça.
J’empile, comme vous, les jours, au jour le jour. J’évite de me projeter, mais au détour d’un article de journal, d’un avis éclairé sur un écran de télé, je pense évidemment à demain, et pour ce qui me concerne, tout semble hors d’atteinte. Aucun d’entre nous ne sait d’avance quand il quittera ce monde, mais mon reste à vivre potentiel s’étrique, et j’enrage. Combien de temps me restera-t-il une fois revenu au monde, si j’y reviens et si le monde veut encore de moi? J’ignore donc quand nous nous reverrons mes amis. J’espère juste que nous nous reverrons.

dimanche 26 avril 2020

ON VA RIRE

Vous vous dites, on va rire. Eh bien non, on ne rit pas. On ne rit plus. Ça fait déjà un bon moment que c’est comme ça. On fait comme si. On fait le clown, pour la galerie, pour la récompense, pour le sourire de l’autre, pour un baiser. Il ne restera de nous que ça, faire le clown, dans l’âme de ceux qui ne seront pas morts.
Il s’est perdu notre rire, quand on riait, car on a ri, ça n’a pas duré longtemps, entre un et trois ans, avant de savoir faire autre chose, avant de savoir dire, jusqu’à ce qu’on croit avoir compris.
Ils disent, un grand-père qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Et si c’est une grand-mère, qu’est ce qui brûle? Une marmite? La douleur des femmes? Le rire des enfants? Il faudra m’expliquer, parce que je ne sais pas ce qu’il y a dans une grand-mère. Je n’en connais que la surface. Non, décidément, aujourd’hui, on ne rit pas.
On ne rit pas, sauf si on se moque de soi-même. Rire de l’autre, franchement, ça ne sert à rien, ce n’est pas du jeu. D’abord qu’est ce qu’il y a de drôle dans ce qui arrive. Tu secoues une branche, il y a dix catastrophes qui tombent, et parfois même, elles tombent bien, même si ça tombe mal.
Regarde toujours le côté positif de l’événement, coco, c’est bien tu iras loin. Jusqu’où, ça on sait pas, mais loin.
Nous sommes un peu brisés, nous sommes plus fragiles que le cristal. Je le sais parce que j’en ai cassé des verres, et des beaux, sans le vouloir. J’en ai écrasé des brins d’herbes, j’en ai détruit des espoirs, à commencer par les miens.
Autour de nous, tout rit, le soleil, la lune, l’arbre, la fleur sur la branche, la mer, le piaf qui passe à toute vibure, le nuage qui voyage. C’est bien ça, le nuage qui voyage. Je le garde. Tout rit, donc sauf nous, enfin, on rit en surface, mais dedans ça ne rit pas. Mais pas du tout. Dès qu’on se croise, on ne se reconnaît plus.
Alors il reste quoi ? Ecrire un mot, puis un autre, les assembler, pour que ça sonne bien, même si ça ne veut rien dire, ça finira toujours par dire quelque chose. C’est une question de temps, et justement, le temps, par les temps qui courent, ce n’est pas gagné.
Le temps ça fond, ça se fond dans le décor, bientôt, il ne restera que le décor. Alors vite, un mot et encore un autre, et plusieurs, alors que nous parvient la musique d’une nuit d’été, celle d’un chanteur qui parle d’amours justement fondues, un chanteur dont la voix tremble un peu, exprès, comme un cri retenu, et qui nous fait pleurer, parce qu’il n’est plus là.

mercredi 22 avril 2020

L'étreinte

Un luxe gratuit. Un bonheur bref mis à l’index. Pourtant c’était bien cette étreinte du matin, lorsque nous arrivions, souvent très tôt.
De tout ce dont ce curieux ennemi nous prive, et risque de nous priver longtemps, c’est ce qui, aujourd’hui me manque le plus.
Je me souviens. Le corps se souvient. C’est très étrange.
Une étreinte différente de l’étreinte amoureuse qui, elle, curieusement, s’efface. Il faudra qu’on m’explique. C’était chaque fois comme une première fois. Un rite faussement banal, à l’évidence.

L’autre, pour aussi différent qu’il fût, dans sa vie, dans ses amours, l’autre donc, devenait en suspend, « à nous même » pour quelques secondes. C’était léger et sincère. Pas d’accaparation, et nous allions d’autre à autre, jusqu’à ce que nous ayons fait le tour de l’assemblée, chaque autre devenait un prolongement de nous mêmes.
C’était le meilleur de nous pour quelques secondes, donné-reçu, reçu-donné.
Ce geste simple nous portait toute la journée à notre insu, nous étions un tout, forts ensemble, capable de pousser les murs, de soulever des montagnes. Le travail se ferait, et il faisait bien.

vendredi 6 mars 2020

UNE HISTOIRE DE SAM'DI SOIR

Je suis arrivé avant eux à la Civette, le café de la gare d’Argenteuil. Ils m’ont fait poireauter, ils étaient à la bourre, comme tous les samedis soir. Ils, c’est Maurice, Momo pour les intimes, et Patrick.

Momo, c’est le genre baraqué, tout en muscle et en souplesse, un visage un peu ingrat, du genre de ceux des acteurs auxquels on s’habitue si le succès vient, un chouette type, grand cœur, et puis, c’est une bonne chose d’avoir un copain costaud. Patrick c’est tout l’inverse, assez raffiné, dandy, fluet, visage d’ange, pas très grand, disons petit et un peu teigneux, cheveux bruns ondulés sur lesquels il tire pour les raidir. Et puis moi, dire que ma mère me trouve superbe me plonge dans des abîmes de perplexité parce c’est loin d’être ce que je constate.

Trois potes de bringues hebdomadaires, comme il y en a tant, même s’ils se voient aussi un peu en semaine, mais c’est moins facile, il y a le boulot. De nous trois, je suis celui qui a la voiture. On a dix neuf ans et toutes nos dents. Chaque samedi, nous passons en revue les Clubs où nous pourrions nous poser.

Nous oublions le WHISKY SOUR, où nous sommes interdits de séjour depuis la semaine dernière, à cause d’une fin de soirée qui a mal tourné, LA PERGOLA, parce que la musique est nase, le ROYAL LIEU éliminé aussi, trop d’histoire en suspend. Nous avons écumé tous les lieux de Paris et de sa région, nord sud est ouest, avec plus ou moins de succès. Par principe, nous restons jusqu’à la fermeture, dans le cas, toujours possible de ramener quelques beautés égarées, et de faire connaissance pendant le trajet, et plus, si affinités, parfois ça marche. Mes potes n’ont aucun problème de drague. Dans leur style ils trouvent toujours un public. Moi, c’est une autre affaire. « T’es trop intello », qu’ils disent, « et puis tu veux être amoureux. C’est nul, tu fais fuir celles qui veulent s’amuser, ne restent que celles qui ne savent pas pourquoi elles sont là et qui jouent les intouchables ». Je dois admettre qu’ils ont un peu raison. Il faut qu’elles me plaisent beaucoup pour que j’y aille. Si elles me plaisent, je me rends vite compte qu’elles préfèrent Momo qui gesticule sur la piste ou Patrick qui est un baratineur de haut vol.

Patrick a dit « Ce soir, je veux de la bourgeoise ». Traduction, les filles, soi-disant, bien élevées qui ont fait le Bal des Débutantes, qui sortent du Couvent des Oiseaux, des Lycées du seizième, de Neuilly, de Saint Germain en Laye ou du Vésinet, bref de la fille de bonne famille. J’ai dit « LE PACHA ? » ils ont dit « D’accord ». Il est trop tôt pour y aller, rien de pire que d’arriver quand il n’y a presque personne. Vers minuit, histoire de rester amis avec le patron de la Civette, juste avant qu’il nous foute dehors, on se met en route.

Quarante minutes de déconne pour y être. Sur le parking, que de la belle bagnole. MG, TRIUMPH, PLYMOUTH, il y a même une BENTLEY, et les bécanes pareil, GUZZI, ROYAL ENFIELD, HARLEY… Je vais garer ma 403 couleur beurre frais aux sièges de cuir rouge pour éviter de faire tâche. Il y a un parc autour, c’est le printemps, une belle et douce nuit. On peut voir les étoiles et la lune qui se marre. On se pointe vers l’entrée, les jeunes sont bien sapés, nous aussi d’ailleurs, c’est une règle, c’est comme un passeport. Il n’y a pas que des jeunes, des hommes de quarante balais qui viennent faire leur marché, quelques couples entre deux âges qui viennent on ne sait trop pourquoi. On se sépare pour entrer, parce qu’ensemble, ça fait « petite bande d’emmerdeurs potentiels ». Un par un, nous sommes admis facile.

L’endroit est assez beau. La musique est vraiment super. Ils envoient LAND OF THOUSAND DANCES (1), puis I FEEL GOOD (2), mes deux loustics commandos plongent sur la piste, et attaquent. Je vais vers le bar, Whisky Coca. Mon regard balaie la salle. MONEY de Jerry Lee Lewis, l’enregistrement live de Hambourg, rien à dire, la qualité, c’est la qualité. De partout ça se déchaîne.

A l’autre bout du bar je la vois, elle se tient en retrait comme moi. Je l’observe et dès que je sens son regard venir vers moi, le mien glisse ailleurs. La sono est vraiment forte, ça fait vibrer tout le corps, c’est impec, tout ce qu’on aime. Un nuage de fumée de cigarettes flotte à mi-hauteur, je prends une clope, je l’allume, j’ai un briquet Dupont en or, prise guerre familiale, un vrai frimeur…

G- L- O –R-I-A (3), Momo semble bien engagé, avec une jolie brunette, Patrick drague une femme du monde qui pourrait être sa mère. J’ai repéré le mari qui semble être endormi malgré le bruit. J’accroche le regard de la fille du bar, elle est jolie, un visage de madone, j’aime bien ça les madones, et puis bing ! C’est le moment des slows, I’VE BEEN LOVING YOU TOO LONG (4), je m’approche, je lui tends la main, elle sourit, elle semblait n’attendre que ça. A peine sommes nous enlacés qu’elle se colle, je suis scié, d’habitude je tente ça, progressivement. Elle y va tellement fort que je bande instantanément. Je lui caresse la nuque, elle prend ma bouche, ça dure et ça dure. Tu t’appelles comment ? « Sylvianne… » « Bonsoir Sylvianne, moi c’est Christian ». Otis a terminé, ça reprend avec UNCHAINED MELODY (5), elle me serre encore plus fort, nous flirtons comme des possédés. Elle me met dans un état… Je jette un coup d’œil autour, histoire de voir si ce n’est pas un plan pour rendre jaloux un mec dans la salle, mais non, rien ne bouge. Un coup d’œil à mes deux acolytes morts de rire, qui me font des pouces en l’air. Ils ont toujours l’air de se foutre de ma gueule, mais je les aime quand même. Leurs affaires ont l’air de bien se passer aussi. Soudain Sylvianne fait un truc qui me sidère. De ses mains fines et délicates, elle empoigne mon sexe à travers mon falzard.

DRIVE MY CAR (6). On quitte la piste. Je n’ai pas trop envie de transpirer, apparemment elle non plus. Je suis allumé, gravement. « Tu prends un verre ? » Elle dit « oui ». On discute, elle se calme un peu, puis ça repart, on s’embrasse encore et encore, la nuit avance, mes mains se baladent énormément.

Mes deux rigolos et leurs conquêtes nous rejoignent. On prend une table, le mari de Solange, la « fiancée » de Patrick, est rentré, tout le monde s’entreprend plus ou moins. Plutôt moins que plus d’ailleurs, compte tenu de l’endroit, mais ça se caresse de tous les côtés quand même. Solange commande du champagne. Je suis dans un état d’excitation tel que s’en est douloureux, seuls les mecs connaissent, je pense, enfin j’imagine. Il faut trouver une issue à tout ça. Momo annonce qu’Aline a sa voiture, et qu’elle le raccompagne. Solange et Patrick se lèvent aussi, clairement, ils ont des projets. Je reste seul avec Sylvianne, la boîte va bientôt fermer.

Nous sortons je la tiens par la main, je lui dit que nous pourrions, peut être, aller chez moi, là, elle me lâche, l’air furieux, elle me dit « bonsoir » et tourne les talons.

Je reste tétanisé, la rage monte, puis je me reprends.
Je cours vers elle, pour lui demander ce qui se passe.

« Si tu t’approches plus près, je hurle!»

Elle monte dans sa Mini Austin verte et disparaît en trombe. Je vais me finir dans les buissons.
Je me demande encore ce que Momo ou Patrick auraient fait.




1 Wilson Pickett
2 James Brown
3 Them
4 Otis Redding
5 Rightous Brothers
6 The Beatles

mardi 21 janvier 2020

ENTRE LES GRIFFES DU MONSTRE

La grippe, quand elle vous a investit ne vous laisse aucune chance. Elle vous réduit à votre être basique. A ce moment vous n’êtes plus celui que vous pensiez être. La lutte à mort entre votre corps et le monstre se passe en vous, sans que vous ayez la moindre possibilité d’intervenir. Votre cerveau fonctionne à minima. Plus rien n’existe, seul l’instinct de survie. Vous êtes recroquevillé en attendant les coups. La grippe s’attaque à l’essentiel, le souffle. La fièvre monte, haute qui vous assomme, mais les quintes de toux vous réveillent, en continu, avec une obligation de cracher ce qui remonte, pour ne pas que tout ça retourne à l’intérieur nourrir la bête. C’est, jour et nuit et sans répit.

La médecine vous dit, ah, vous étiez vacciné, mais cela ne couvre que quatre vingt pour cent du risque… Vous pensez que vous avez touché le gros lot.

Et donc ? Votre médecin de ville ne se déplace plus, par principe, ou pour avoir une vie plus confortable, va savoir, donc vous faites appel aux SOS, qui viennent, quand ils peuvent, à leur tarif. Pour vous soutenir et faire tomber la fièvre, Dafalgan toutes les six heures. Les antibiotiques sont impuissants face au virus, mais on vous en donne quand même en vue de suites, parce qu’au bout, une infection est toujours possible.

Pendant les cinq premiers jours vous ne pouvez rien avaler de solide, et même le liquide, recommandé à du mal à passer.

La toux à répétition fait contracter vos muscles du dos au delà de ce qu’ils savent faire. Au bout de deux jours, c’est comme si on vous avait roué de coup. Le lit vous devient insupportable, mais quand vous vous levez, la tête tourne, vous tremblez de froid ou étouffez de chaud. Il semble qu’un répit vient, mais c’est illusoire.

Voilà, j’en suis donc à mon sixième jour de cet enfer. La fièvre est moins haute, mais elle persiste. La toux est plus nocturne que diurne, mais rien n’est jamais sûr. Sortie du combat prévu pour dimanche. A voir…

Il est 2h23 ce jeudi, le monde semble bien calme, mais je sais que c’est une illusion.

Le corps oubliera lentement. Tant mieux. Nous sommes fragiles. La terre est fragile, pourtant, comme nous menons nos vies, un peu fanfarons, nous faisons comme si rien ne pouvait jamais mal tourner, comme si nous triompherions toujours. Une lente sortie de crise. Très lente. Première nuit complète sans quintes affolantes. Reste le sentiment insidieux de vulnérabilité. Pendant ce temps là, ça brûle en Australie, pendant ce temps là on assassine un avion de ligne. Chaos dedans, chaos dehors. Avant de se relever tout à fait, utiliser la conscience du ténu des choses, pour un peu plus de sagesse, sur ce qu’on peut faire ou pas, et ce qu’on peut subir. Un peu fébrile encore, confiance en soi entamée. Ça passera. Demain, il fera beau.

Comme par surprise, le jaune est plus jaune, le bleu est plus bleu, le rouge est plus rouge. Les sons sonnent clairs. Les ombres courent sur les murs. Le jour chamboule, et la nuit même la nuit est brillante et calme.

Rien ou presque ne subsiste du désastre, que soi même, interdit, au centre d’une une paix irréelle. Une soif d’être, de retrouver la danse du monde, puis trahi par un effondrement soudain qui s’invite à mi-journée, en rappel, qui dure peu, juste le temps d’en avoir conscience. Rien n’est plus comme avant, mais tout se ressemble. Le temps d’hier se comprime, déjà, il raccourcit, bientôt il diluera, mémoire sélective.

Je regarde par la fenêtre. C’est une drôle de chose que d’habiter en l’air, cela donne peu envie de redescendre. Le blanc du ciel est plus blanc, le bleu plus bleu.

Devant, là, juste sur l’arbre de gauche, l’assemblée générale de dix sept heures des étourneaux. Il en vient autant que l’arbre eût de feuilles à la belle saison. Ils attendent en se parlant d’étourneau à étourneau. D’autres arrivent encore. Sur un signal secret ils partent tous en vague, ombre vive et mobile, se poser sur l’arbre de droite, de l’autre côté de la place. Ils feront l’aller retour trois fois, dans le quart d’heure, et puis disparaîtront jusqu’au lendemain.

Les nuages glissent sur le bleu du ciel, je choisis le plus petit, et je le suis.

vendredi 3 mai 2019

SUR LE BANC

Nous étions d'une banlieue ouvrière qui se reconstruisait tant bien que mal; notre horizon était de cheminées d'usine, de rues grises, de terrains en friche ou poussaient, chiendent, ortie et herbe à verrue, autour de végétation rase, où, avec les autres mômes du quartier nous allions taper le ballon les jeudis après-midi. C'était notre plage sans mer.

Aux vacances de Pâques, ma grand mère Blanche nous emmenait à Paris, mon cousin Alain et moi, afin de parfaire notre connaissance du monde.
Je me souviens de la première fois. Paris n'existait que par ce qu'on nous en disait, vaguement lointain, pourtant nous n'étions qu'à quinze minutes seulement de la gare Saint Lazare.
Il s'agissait pour Blanche de nous faire découvrir les monuments de la capitale, leur histoire et de susciter en nous la fierté d'appartenir à cette histoire. Parfois nous visitions "dedans" quand c'était gratuit ou pas trop cher, ou alors, nous visitions "autour"...

Nous déambullions d'un lieu à l'autre, ivres de tant de bruit, d'agitation, en suivant cette femme simple, aimante, enthousiaste, dont l'energie nous paraissait inépuisable et éternelle.
La tour Eiffel par les marches, le tombeau de Napoléon, la colonne de la Bastille, le Sacré Coeur, le Panthéon, l'Arc de Triomphe et Notre Dame.
Pour le déjeuner elle déballait ce qu'elle avait préparé avec soin, toutes sortes de bonnes choses ou de trucs bizarres et délicieux dans des petits pots.
Alors, à ce moment elle proclamait en riant,

- Eh bien nous aussi on est sur le banc!

Il existait à l'époque une émission très populaire sur Radio Luxembourg, animée par deux chansonniers, Jane Sourza (Carmen) et Raymond Souplex (La Hurlette), qui commentaient l'actualité et leur vie de pseudo clochards.Ils me faisaient un peu peur.
Le programme s'appelait justement "Sur le Banc". Ma grand mère les écoutait tout les jours.

Il m'est venu alors une honte d'enfant, profonde, indicible, assez forte pour que je m'en souvienne encore, que les passants qui passaient nous prissent pour des clodos.

mercredi 31 octobre 2018

Anna

ANNA T
(1904 - 1925)

Elle était jolie Anna, très jolie.
Elle était née dans un temps lointain, en un pays devenu lointain.
Elle avait des frères et des sœurs, plein. C’était un autre temps, un temps où, c’était comme ça, un bébé venait, et à peine marchait-il, qu’un autre arrivait.
Anna, tous l’aimaient. Il semble bien qu’elle était aimable, et puis comme je l’ai dit elle était jolie, et elle avait un beau sourire.
Elle était à la fois grande sœur pour les uns, petite pour les autres, mais pour tous, elle était Anna.
Elle s’appelait Anna, parce qu’une autre Anna, avant elle, n‘avait pas survécu, une Anna disparue à seize mois. Alors quand les larmes se furent enfouies assez profondément, que d’autres enfants vinrent, ses parents pensèrent que cela donnerait un visage à ce prénom.
Trois sœurs, quatre frères. Une génération qui n‘avait pas le goût à parler des peines, et nous, piètres questionneurs, n’avions pas cherché à savoir plus, nous disant que nous aurions le temps, tant ils nous semblaient éternels.

D’elle, nous avons su, seulement, qu’elle avait été emportée avant d’être femme, d’un coup de froid, et que devant nos yeux elle demeure, jeune, pour toujours.

lundi 14 mai 2018

J’aurais voulu que tu sois là.

C’est le titre d’un album de Pink Floyd que je peux écouter sans m’en lasser. Il est dédié, à Sid Barrett, membre fondateur du groupe, resté la tête dans les étoiles par sa consommation intense de substances hallucinogènes.

Cette phrase, je l’adresse aussi à celles et ceux que j’ai perdu, par décès, par éloignement, par choix, par omission ou par erreur.

J’aurai voulu que tu sois là, pour me relever quand je tombais, pour mes gloires éphémères et mes défaillances.
J’aurais voulu que tu sois là, pour me guider quand je faisais fausse route, et pour m’apprendre ce que j’ignore encore.
J’aurais voulu que tu sois là, pour refermer les portes que j’avais laissé ouvertes et ouvrir les fenêtres que je tenais fermées.
J’aurais voulu que tu sois là pour voir le soleil se coucher et le jour poindre.
Mais, peut être étais tu là sans que je que je le sache.

samedi 22 juillet 2017

L'Obstacle

Il y a toujours un obstacle entre moi et ce que je désire, comme entre mon regard et ce que je veux donner à voir.
Cela me sert souvent. Cela me gêne aussi.
Un premier plan venant parasiter le second, toujours.
Un passage obligé auquel je me résigne.
Alors, plutôt que de me battre contre, l'expérience m'en ayant démontré la vanité, ma réponse est d'intégrer l'obstacle au bonheur et au paysage .
Il paraît que c'est ainsi que naît un style.

lundi 6 mars 2017

A Propos d'Autisme

J’ai vu et entendu Monsieur Fillon hier lors de son passage au journal France 2. Il était bien coiffé, il avait un beau costume, un vrai beau mannequin de vitrine, nickel.

Ses arguments m’ont semblé cohérents et sa légitimité est inattaquable, en effet il représente bien ceux qui ont largement choisi son projet.

Après tout s’il les emmène dans le mur ce n’est pas mon problème.

Donc qu’il demeure candidat, puisqu’il y tient tant, qu’il soit battu et qu’on en parle plus.

Autre chose, non, il n’est pas autiste. C’est plutôt dommage pour lui et pour ceux qui le soutiennent, car souvent les autistes sont géniaux. Il est juste bête, d’une bêtise crasse et vu de ma fenêtre, c’est plutôt rassurant.

Ah! S’il avait rendu l’argent à la base du scandale moral révélé, il serait aujourd’hui probablement imbattable, mais ça…

lundi 21 novembre 2016

IL Y A COMME UNE ODEUR, VOUS NE TROUVEZ PAS?

Au soir de l’élection de François Hollande à la Présidence, vaguement content, j’ai dit à mes proches, « Il vaudrait mieux qu’il réussisse sinon, ça risque de puer beaucoup après».
Ce matin j’ai une pince à linge sur le nez. Et ça fait mal.
Monsieur Fillon affiche ouvertement des positions fondamentalement dangereuses pour la possibilité d’une société apaisée. Le très fort courant catholique intégriste qui le soutient, n’a rien à envier à ce que je reproche à tout autre courant religieux s’exprimant avec le but d’imposer un ordre moral aux citoyens. S’ajoute à cela sa proximité de vue avec Monsieur Poutine et Monsieur Assad, et un axe ultra-libéral de l’économie. La société française penche à droite, pas vers une droite bienveillante, elle a existé parfois, mais celle qui rappelle les pires souvenirs de notre histoire.

Si les choses devaient en rester là, nous nous dirigeons vers un second tour de la Présidentielle de 2017 Fillon/LePen, avec tous les risques de surenchère et de convergence.

Il n’y a pas à gauche, à ce jour, de proposition qui vaille, qui fédère, c'est très dommage. Il semble aussi qu'il n'y ait plus de centre qui calme tout le monde. Que Hollande se re-présente ou pas, ne changera pas grand chose, tant il est, pour une part, à tort, déconsidéré. Je m’arrête sur « à tort » car vous venez de le faire vous-même en pensant que je dis je dis n’importe quoi.

Je pense que le bilan objectif de ce quinquennat n’a pas été fait, et ne le sera probablement jamais, car les attaques se sont portées avant tout sur l’homme, imparfait, pareil à tous les hommes sur cette terre, comme vous et moi, avec ses faiblesses et ses qualités en balance parfaite. Ne pas lui trouver de qualités reviendrait à ne pas vous en trouver. J'ai autant d'estime pour vous que pour lui.
J’ai, ancrée, une très grande méfiance envers un homme qui se présente comme parfait, bien propre et formaté.

Une dernière chose, hier je suis allé voter à cette primaire, bien que… Ce n’était pas de gaité de coeur. Il y avait un candidat que je ne souhaitais jamais revoir. Au moins, ça c’est fait. Vous aurez compris que j’y retournerai dimanche prochain, sans illusion. Un peu d'espoir, peut-être?